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Avinash Takoory, expert en cybersécurité : «Les contenus diffusés sans consentement ne disparaissent jamais d’un clic»

À Maurice, une jeunesse hyperconnectée se retrouve sans défense face aux faux profils, sextorsion, cyberharcèlement et diffusion d’images intimes. Pour l’expert en cybersécurité Avinash Takoory, le pays fait face à une violence numérique fulgurante. Il insiste pour la mise en place d’un bouclier de prévention.

Comment définiriez-vous la cybercriminalité aujourd’hui à Maurice ?
La cybercriminalité à Maurice désigne l’ensemble des actes malveillants commis via Internet ou des appareils numériques, allant des attaques techniques (intrusions, ransomwares, vols de données) aux abus liés aux réseaux sociaux (phishing, usurpation d’identité, cyberharcèlement). Avec la forte numérisation et l’usage massif du mobile, Maurice connaît une hausse des arnaques en ligne et des incidents touchant particulièrement les jeunes.

Quels sont les types de cyberattaques ou de harcèlement qui touchent le plus la jeune génération ?
À Maurice, les jeunes sont surtout touchés par le cyberharcèlement sur WhatsApp, Instagram, TikTok, Facebook, Snapchat et Telegram, incluant insultes, humiliations et exclusion de groupes. On observe aussi beaucoup de faux profils, d’usurpation d’identité, ainsi que des cas croissants de sextorsion et de diffusion de photos intimes dans les collèges. 

Le « grooming » (adultes se faisant passer pour des jeunes), les arnaques en ligne (faux concours, fausses ventes, crypto-scams) et le piratage de comptes via phishing local sont également fréquents. Ces phénomènes sont amplifiés par la forte connectivité mobile et l’usage massif des réseaux sociaux dans l’île.

Selon vous, quels réseaux sociaux représentent le plus de risques pour les adolescents ?
Les adolescents, à Maurice, sont surtout exposés aux risques sur TikTok, Instagram, Snapchat, WhatsApp, Facebook et Telegram. Ces plateformes facilitent le cyberharcèlement, les faux profils, le grooming, les arnaques et surtout la diffusion non consentie de photos ou vidéos. Telegram, en particulier, est utilisé pour partager anonymement ou en groupes privés des contenus sensibles, ce qui complique le contrôle et augmente le risque pour les jeunes.

La prévention est-elle insuffisante à l’école ou à la maison ?
La prévention reste globale-ment insuffisante à l’école comme à la maison à Maurice. Les écoles n’ont pas de programmes réguliers et structurés sur la cybersécurité, et les enseignants manquent souvent de formation. À la maison, beaucoup de parents ne maîtrisent pas les outils numériques et ne discutent pas assez des risques avec leurs enfants. Résultat : la prévention est irrégulière, fragmentée et souvent réactive au lieu d’être continue.

Quel rôle doivent jouer les parents dans la surveillance de l’activité numérique de leurs enfants ?
Les parents doivent rester impliqués en posant des règles claires, en discutant des risques et en supervisant les comptes, mais aussi en utilisant les outils de contrôle parental intégrés (sur Android, iPhone, YouTube, TikTok, etc.). Ces outils permettent de limiter le temps d’écran, filtrer les contenus, contrôler les téléchargements et suivre l’activité en ligne, tout en maintenant un dialogue ouvert pour éviter une surveillance intrusive.

Quels comportements en ligne sont les plus dangereux, mais les plus ignorés par les jeunes ?
Les jeunes prennent souvent à la légère des comportements qui peuvent pourtant détruire une réputation, briser une confiance ou mettre leur sécurité en danger. Ils partagent des photos intimes sans imaginer qu’elles peuvent circuler en quelques minutes, parlent à des inconnus qui peuvent être des adultes mal intentionnés, cliquent sur des liens frauduleux qui peuvent voler leurs comptes, et rejoignent des groupes où circulent rumeurs et contenus toxiques. 

Ils exposent aussi leur vie privée sans réfléchir aux conséquences et participent à des challenges dangereux. Le plus grave : ils diffusent parfois des contenus humiliants en pensant « c’est juste pour rire », sans mesurer l’impact psychologique – ou légal – que cela peut avoir.

Accepter des demandes d’amis ou des abonnés provenant de personnes que l’on ne connaît pas dans la vraie vie est l’une des plus grandes erreurs que commettent les jeunes en ligne. Derrière un profil apparemment normal peut se cacher un faux compte, un adulte mal intentionné, un harceleur ou même quelqu’un qui cherche simplement à collecter des informations personnelles. 

Il faut rappeler aux adolescents que sur les réseaux sociaux, rien ne garantit que la personne derrière l’écran est celle qu’elle prétend être.

Comment la culture du « like » et du partage influence-t-elle la vulnérabilité des ado-lescents ?
La culture du « like » pousse les adolescents à chercher validation et popularité au point de s’exposer dangereusement. Pour quelques vues, les adolescents partagent trop, prennent des risques, s’exposent à des inconnus et perdent totalement le contrôle de leurs images, qui peuvent circuler en quelques minutes sur WhatsApp, Telegram ou TikTok. 

Cette quête d’attention les rend moins prudents, plus manipulables et beaucoup plus vulnérables aux prédateurs, au harcèlement et aux humiliations publiques.

Quelles sont les limites des autorités pour intervenir face à des menaces numériques anonymes ?
À Maurice, les autorités comme la Cybercrime Unit et le CERT-MU ont les compétences pour agir, mais lorsqu’un agresseur reste anonyme, leurs moyens sont vite limités. Derrière un VPN, un faux profil Facebook/Instagram ou un compte Telegram sans numéro mauricien, un auteur peut devenir presque impossible à identifier localement. Les enquêteurs doivent alors dépendre de plateformes étrangères – Meta, TikTok, Telegram – dont les réponses peuvent prendre des semaines… quand elles arrivent.

Pendant ce temps, les contenus circulent à une vitesse fulgurante dans les groupes WhatsApp, Telegram ou Messenger, où chaque partage multiplie l’impact et rend toute tentative de suppression presque inutile. Avec une petite île où les réseaux sociaux jouent un rôle central dans la vie des jeunes, la propagation est encore plus rapide et plus dommageable.

Enfin, beaucoup de victimes mauriciennes – surtout des adolescents – suppriment les messages ou hésitent à signaler, laissant les autorités sans preuves solides. Résultat : malgré leur volonté d’agir, les policiers se retrouvent finalement à courir derrière des traces numériques qui disparaissent plus vite qu’ils ne peuvent les suivre, et les dommages à la réputation deviennent souvent irréversibles dans une société aussi connectée et compacte que Maurice.

Comment sensibiliser les jeunes sans les effrayer ou les déconnecter complètement ?
Pour sensibiliser les jeunes Mauriciens sans les effrayer, il faut une approche positive, pratique et connectée à leur réalité. On leur montre comment garder le contrôle (protéger leurs comptes, réfléchir avant de poster, reconnaître un faux profil) plutôt que de les pousser à se déconnecter. 

La Mauritius Digital Promotion Agency (MDPA) peut jouer un rôle clé : campagnes éducatives modernes, programmes scolaires, contenus adaptés aux jeunes et actions conjointes avec le CERT-MU, les écoles et les influenceurs locaux. Cela permet de rendre les adolescents autonomes, confiants et mieux protégés dans un environnement numérique qui évolue très vite à Maurice.

Quels sont les outils les plus efficaces pour retracer et neutraliser des contenus diffusés sans consentement ?
Les contenus diffusés sans consentement ne disparaissent jamais d’un clic, mais plusieurs outils permettent de reprendre le contrôle. Les signalements intégrés sur Instagram, TikTok, Snapchat ou Telegram sont les plus efficaces pour faire retirer une image. La Cybercrime Unit peut remonter jusqu’à l’auteur grâce aux traces numériques, tandis que le CERT-MU aide à bloquer des liens et à retirer des fichiers hébergés hors Maurice. 
Avec une recherche inversée d’image, on repère où le contenu circule encore. Utilisés ensemble, et surtout dans les premières heures, ces outils permettent de casser la chaîne de diffusion avant qu’elle ne devienne incontrôlable.

La législation mauricienne est-elle adaptée aux nouvelles formes de cybercriminalité ?
La législation mauricienne, notamment la Computer Misuse and Cybercrime Act, l’ICT Act et la Data Protection Act, offre déjà une base solide pour traiter le cyberharcèlement, l’usurpation d’identité, la diffusion non consentie d’images et la fraude en ligne. Mais face aux nouvelles formes de cybercriminalité, ce cadre montre ses limites.

Les lois ont été écrites avant l’explosion de TikTok, Telegram, Snapchat, des VPN accessibles à tous, de la sextorsion de masse, et bien avant l’arrivée des deepfakes et de l’IA générative. Résultat : certains comportements modernes ne sont pas clairement définis dans la loi, les procédures avec les plateformes internationales restent lentes et incertaines, l’anonymat et le chiffrement compliquent les enquêtes, et les sanctions actuelles ne sont pas toujours dissuasives, surtout chez les mineurs qui diffusent des photos ou vidéos sensibles sans mesurer les conséquences légales.

Dans un pays où l’information circule en quelques minutes sur WhatsApp ou Telegram, une législation statique ne suffit plus.

À la suite du récent drame sur Telegram, quelles défaillances du système de protection des mineurs ont été mises en lumière ?
Le drame sur Telegram, survenu il y a quelques semaines à Maurice, a révélé de graves défaillances dans la protection des mineurs : absence de contrôle sur les groupes anonymes et chiffrés, propagation fulgurante des contenus, difficultés à identifier les auteurs due à l’anonymat et aux VPN, et prévention insuffisante chez les jeunes qui ne mesurent pas toujours la gravité de partager ce type de contenu. Les parents et les écoles peinent également à détecter les signaux d’alerte. 

Cet événement montre qu’au-delà des enquêtes, c’est tout un travail d’éducation nationale qui manque : il faut des campagnes de sensibilisation structurées dans les écoles primaires, secondaires et institutions d’enseignement supérieur, ainsi qu’un véritable accompagnement pour les parents. La technologie domine et on ne peut pas l’arrêter, mais mettre des périmètres, des règles et une culture numérique responsable est indispensable pour protéger efficacement les mineurs dans un environnement qui évolue plus vite que nos mécanismes de défense.

Il faut rappeler aux adolescents que sur les réseaux sociaux, rien ne garantit que la personne derrière l’écran est celle qu’elle prétend être»

Quels mécanismes de prévention auraient pu être activés pour éviter une tragédie de ce type ?
Une tragédie de ce type aurait pu être évitée si Maurice disposait d’un véritable bouclier de prévention. Une éducation numérique obligatoire dans les écoles primaires, secondaires et institutions d’enseignement supérieur aurait donné aux jeunes les réflexes essentiels pour comprendre le danger de Telegram, du partage de contenus sensibles et du consentement numérique. 

Des campagnes nationales fortes, portées par le ministère de l’Éducation, la MDPA, la CERT-MU et la Cybercrime Unit, auraient pu alerter parents et élèves sur la réalité des risques. L’implication active des parents, épaulés par des outils de contrôle et des sessions d’information, aurait permis de repérer les signaux d’alerte plus tôt. 

Mais surtout, l’absence d’un protocole national clair pour gérer les cas impliquant des mineurs a laissé un vide que la technologie, rapide et incontrôlable, a exploité. Ce drame montre qu’on ne peut pas arrêter la technologie, mais sans des limites, une éducation solide et une coordination entre institutions, les enfants restent exposés et vulnérables.

Selon vous, quelle responsa-bilité incombait aux plateformes dans ce cas précis ?
Dans ce drame survenu à Maurice, les plateformes, et particulièrement Telegram, portent une part importante de responsabilité, car elles ont l’obligation de protéger les mineurs sur leurs services. Elles auraient dû pouvoir désactiver rapidement les groupes concernés, renforcer la détection automatique des contenus impliquant des enfants et coopérer plus efficacement avec la Cybercrime Unit et le CERT-MU. 

Cependant, la responsabilité n’incombe pas uniquement aux plateformes : c’est aussi une responsabilité partagée avec les parents. Dans un pays où les jeunes disposent très tôt d’un smartphone et accèdent librement à Telegram, WhatsApp et TikTok, les parents doivent jouer un rôle actif dans la surveillance, l’éducation numérique et la détection des signaux d’alerte. 

L’anonymat, l’absence de contrôle d’âge et le manque d’accompagnement familial ont créé un terrain favorable à la diffusion de contenus sensibles. Ce drame montre donc que la protection des mineurs ne peut reposer sur un seul acteur : c’est un devoir collectif entre plateformes, parents, écoles et institutions.

Avec le chiffrement de bout en bout utilisé par des plateformes comme Telegram ou Signal, quelles méthodes légales et techniques permettent aujourd’hui d’identifier et de poursuivre les auteurs de diffusion non consentie de contenus sensibles ?
Même avec le chiffrement de bout en bout utilisé par des plateformes comme Telegram, Signal et WhatsApp, plusieurs méthodes légales et techniques permettent encore d’identifier et de poursuivre les auteurs de diffusion non consentie de contenus sensibles. Les autorités à Maurice peuvent s’appuyer sur l’analyse forensique des téléphones, l’accès aux sauvegardes cloud (y compris celles de WhatsApp), la récupération de métadonnées comme les adresses IP ou les identifiants d’appareil, ainsi que les réquisitions auprès des opérateurs mobiles mauriciens. 

La coopération internationale permet aussi d’obtenir des logs essentiels auprès des plateformes, même si le contenu chiffré reste inaccessible. Sous ordonnance légale, les plateformes peuvent être obligées de fournir certaines informations sur les comptes ou de désactiver des groupes. 

Ainsi, même si le chiffrement complique les enquêtes, les traces périphériques, les métadonnées et les appareils des utilisateurs permettent souvent de remonter jusqu’au diffuseur. Mais la protection reste une responsabilité partagée entre plateformes, autorités, parents et écoles, car la prévention et l’encadrement sont les premières lignes de défense.

Dans les cas de harcèlement numérique transfrontalier, comment concilier coopération internationale, protection des données et rapidité d’intervention, quand chaque minute peut avoir des conséquences graves pour la victime ?
Dans les cas de cyber-harcèlement transfrontalier, on ne peut plus se permettre d’attendre : il faut concilier coopération internationale, protection des données et intervention immédiate en agissant tous en même temps. Maurice doit activer les canaux d’urgence internationaux – Interpol, procédures accélérées auprès des plateformes – pour faire retirer les contenus et préserver les preuves avant qu’ils ne se propagent davantage. Les exceptions prévues par la loi permettent de partager uniquement les informations essentielles lorsque la sécurité d’un mineur est en jeu, sans compromettre la confidentialité. 

Pendant ce temps, les autorités doivent avancer localement grâce à la forensique, aux métadonnées et à l’OSINT, c’est-à-dire l’analyse d’informations publiques et visibles en ligne (profils, traces numériques, groupes, comportements), qui permet d’identifier des pistes même à travers les frontières. Cette stratégie coordonnée est la seule façon de suivre le rythme d’un numérique qui évolue plus vite que les procédures : protéger la victime d’abord, s’organiser ensuite.

Maurice passe à l’action pour protéger enfants et citoyens

Le vendredi 28 novembre 2025, le Cabinet a validé une mesure qui pourrait bien transformer le quotidien des familles mauriciennes : les cartes SIM et les routeurs Wi-Fi domestiques intégreront désormais des outils de contrôle parental. Objectif ? Restreindre l’accès des enfants aux contenus inappropriés – pornographie, violence, harcèlement… – tout en laissant aux parents la main sur la gestion et les restrictions, sans changement de numéro. À terme, les fournisseurs d’accès Internet (FAI) proposeront aussi des applications simples à utiliser sur mobiles et routeurs, accompagnées de campagnes d’information grand public.

D’autre part, Avinash Ramtohul, ministre des Technologies de l’Information, de la Communication et de l’Innovation, annonce une réforme législative d’envergure pour répondre aux nouveaux crimes numériques, surtout ceux liés à l’intelligence artificielle (IA) générative. Cette réforme, explique-t-il, est devenue indispensable : « Pendant des années, l’espace numérique mauricien a évolué dans une zone grise, où arnaques, diffusion de photos intimes, faux profils ou contenus haineux ont prospéré sans véritable réponse. » Avec l’arrivée des IA génératives, la situation s’est encore compliquée.

Parmi les plateformes les plus préoccupantes, Telegram occupe le haut du classement. Son anonymat facilite la diffusion de contenus privés et d’activités illicites. Plutôt que de l’interdire, le gouvernement mise sur l’encadrement et la responsabilisation, conciliant liberté d’expression et protection des citoyens.
Dans le cadre de la réforme législative annoncée, le concept de « Responsible AI » devient central : il s’agit d’identifier les auteurs de manipulations et de sanctionner sévèrement les abus. De nouveaux outils permettront de détecter et authentifier les contenus générés par l’IA, protégeant ainsi les victimes de diffamation, de chantage et de manipulations politiques.

Maurice met également les grandes plateformes face à leurs responsabilités. Elles devront respecter les lois locales et nommer un Compliance Officer basé sur l’île, capable de dialoguer avec les autorités en créole et d’agir rapidement. En cas de manquement, les sanctions seront lourdes.

Cette transformation vise à créer un espace numérique plus sûr et ordonné, avec un accent particulier sur la protection des enfants. Collaboration avec les familles, modération renforcée et coopération internationale, notamment avec l’Inde, complètent ce dispositif, alliant prévention, répression et accompagnement psychologique des victimes.

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