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Ashok Subron : «Les nuances, différences et divergences sont normales au sein d’une alliance politique»

Ashok Subron

Le ministre de l’Intégration sociale, de la Sécurité sociale et de la Solidarité nationale, Ashok Subron, fait un état des lieux de la situation politique, de son ministère et explique le fonctionnement du nouveau système de pension pour personnes en situation de handicap.

Dans le cadre de la Journée internationale des personnes handicapées qui a eu lieu mercredi, quel est votre constat de la situation à Maurice pour les personnes handicapées ?
Selon les chiffres disponibles, nous voyons qu’il y a une augmentation relative du nombre de personnes en situation de handicap à Maurice. Les chiffres disponibles émanant du Housing and Population Census montrent qu’il y a 86 607 personnes en situation de handicap, soit 7,02 % de la population en 2022, alors que le nombre était de 59 868, soit 4,84 % de la population en 2011. Ce qui représente, en proportion relative, une hausse de plus de 45 % durant ces dix dernières années. En parallèle, le nombre de personnes bénéficiant d’une pension d’invalidité a augmenté de seulement de 13 % durant cette même période.

En termes de longue durée, le nombre de bénéficiaires est resté statique à environ 31 000, pendant les douze dernières années. De plus, le système de détermination de la pension date de plus de 40 ans et utilise des « medical guidelines » vieux de presque dix ans. Le système actuel est archaïque. L’ancien régime n’a pas bougé le petit doigt à ce sujet. Il a seulement apporté une petite modification en 2022 en introduisant une « disability allowance » qui est restrictive et limitative. Elle s’applique à moins de 800 bénéficiaires par année. Hormis l’introduction de la Special Education Needs Authority (SENA), l’ancien régime n’a rien entrepris pour traduire en réalité l’adhésion de l’État mauricien à la UN Convention on the Rights of Persons with Disabilities (UNCRPD). Ce n’est pas étonnant que le rapport du comité des Nations Unies sur l’application des recommandations mette en avant trois grosses lacunes et a formulé pas moins de 73 recommandations en octobre 2024. On peut dire que l’ancien régime a laissé en place un système archaïque, défectueux et ne se souciait guère de la progression de la population de personnes en situation de handicap, et a fait fi de l’adhésion à la UNCRPD. Donc, une révision en profondeur du système est plus que nécessaire.

Le Conseil des ministres le vendredi 28 novembre a annoncé une révision en profondeur du Disability Pension System. Pourquoi cette révision ?
Comme mentionné plus haut, un des mécanismes liés aux personnes en situation de handicap, notamment l’allocation de la pension, était devenu archaïque, inefficace et péchait par un manque d’humanisme. Il est dépassé, irrationnel et n’est pas conforme aux normes des droits humains internationaux, comme l’a souligné le comité des Nations unies. Avec la réforme, le système ne reposera plus uniquement sur le côté médical. La réforme introduira les critères fonctionnel et social, qui représenteront 50 %, l’autre 50 % étant l’aspect médical. On introduira également un système de pension et de « benefits’ gradué.

L’ancienne approche binaire sera éliminée et remplacée par un système gradué. Les allocations seront déterminées en fonction du degré de handicap, social et fonctionnel. Une autre dimension sera l’introduction d’un « assessment panel » qui remplacera le « Medical Board’. Il n’y aura plus nécessairement de passage physique. Il y aura une fiche d’évaluation à domicile qui sera, en phase finale, transmise par voie numérique. Cet « assessment panel » sera un service tout-en-un. Il sera plus inclusif et il y aura des disability activists qui seront la voix des personnes en situation de handicap, intégrant ainsi le principe de « nothing about us, without us ». L’assessment panel sera aussi multidimensionnel pour tous les autres services de l’État qui seront disponibles : accès à l’emploi, carte pour le parking, Carer’s Allowance, etc. Cette réforme de la pension d’invalidité se fera en deux phases. La phase 1 réformera les actuels « medical guidelines » et le certificat médical. Le « graduated support model » sera effectif à travers une « Inclusive Living Allowance » qui remplacera l’actuelle « Disability Allowance’ de 2022. Le montant de l’Inclusive Disability Allowance sera supérieur à la Disability Allowance. Nous estimons que 4 000 à 5 000 personnes en situation de handicap en bénéficieront.

Quand exactement la Phase 1 de cette réforme va-t-elle mise en place et quand les premières personnes verront-elles l’Inclusive Living Allowance augmentée ? 
L’introduction de la phase 1 dépendra de trois préalables : la validation du nouveau « Medical Guidelines » par le ministère de la Santé, l’allocation financière par le ministère des Finances et le changement des lois au début de la rentrée parlementaire de 2026. Si tout est au vert, le premier trimestre marquera le démarrage de la phase 1.

Le communiqué du Cabinet parle d’un « hybrid assessment model » basé sur des critères médicaux et fonctionnels en Phase 2. Pouvez-vous expliquer ? 
En phase 2, les critères social et fonctionnel s’ajouteront aux 50 % des critères médicaux. C’est ce qu’on appelle le « hybrid assessment model ». Ce sera un pas vers l’’human-based approach’ préconisée par les Nations unies. Pour le critère fonctionnel, par exemple, on prendra en compte si la personne peut marcher ou si elle est alitée, si elle peut préparer à manger, se doucher, entre autres. En sus de cela, dans la phase 2, il y aura le nouvel « assessment panel » qui sera pluriservices. On espère que tout le système sera numérisé à la fin de la phase 2.

Le remplacement des Medical Boards par des panels multidisciplinaires : qui choisiront les membres de ces panels (psychologues, ergothérapeutes, travailleurs sociaux…) et y aura-t-il des représentants des associations de personnes handicapées ? 
Le nouvel assessment panel intégrera des psychologues, des ergothérapeutes et d’autres spécialistes, selon les besoins des personnes en situation de handicap. La nouveauté sera l’introduction de disability rights activists et d’autres représentants, comme mentionné plus haut.

Pourquoi avoir choisi un système en deux phases ?
Pour aller plus vite et pour que le système soit mis en place dès le début de l’année prochaine, ainsi que pour recalibrer la réforme à partir des expériences de la phase 1 et préparer la phase 2. La phase 2 sera incorporée après le budget 2026/2027, alors que la phase 1 est appelée à être opérationnelle début 2026. Nous comptons introduire la phase 2 durant les douze mois suivant le démarrage de la phase 1.

Y a-t-il une possibilité que le gouvernement revienne sur sa décision de rehausser le paiement de la Basic Retirement Pension à l’âge de 65 ans d’ici la fin de ce mandat ?
Cette question n’a pas été abordée. Il y a un comité d’experts qui se penche sur toute la question des pensions. J’encourage tous les citoyens à faire parvenir leurs propositions et suggestions à ce comité.

Comment Rezistans ek Alternativ se sent-il intégré au sein de ce gouvernement de l’Alliance du Changement au bout de cette première année ?
Pour ReA, c’est une nouvelle expérience politique après plus de quinze ans dans l’opposition extraparlementaire et de mobilisations sociales. ReA s’est intégrée et il est respectée dans toutes les institutions de l’État dont nous faisons partie : dans notre fonction ministérielle, au cabinet des ministres, à l’Assemblée nationale et dans les autres instances.

Depuis la demande de réunions régulières entre les quatre composantes de l’Alliance formulée il y a deux semaines par Rezistans ek Alternativ, y a-t-il eu du nouveau ?
Non, mais il y a eu des conversations séparées avec les deux leaders des partis majeurs de l’Alliance : le leader du Parti travailliste (PTr) et le leader du Mouvement militant (MMM) mauricien.

L’Alliance du Changement est passée par de sévères secousses ces dernières semaines ? Pensez-vous que la paix retrouvée est durable ? Est-ce difficile de maintenir l’unité au sein de l’alliance ?
Les nuances, différences et les divergences sont normales au sein d’une alliance politique, tout comme elles le sont dans la vie. C’est une alliance constituée de deux partis historiques : un partenaire d’origine socialiste et ouvrière, mais avec une expérience beaucoup plus extraparlementaire, et un autre partenaire issu d’une scission de l’ancien Parti mauricien social-démocrate (PMSD). De plus, les deux leaders historiques du PTr et du MMM ont deux styles différents, souvent complémentaires, mais parfois divergents. Il faut aussi mentionner que nous sommes en société de classes avec des intérêts conflictuels, avec toutes sortes de lobbies, tant économiques, tant claniques ou simplement ceux qui aspirent à une « promotion » politique. Ce qui souvent cause ou exacerbe les nuances, différences, et les divergences qui sont normales. Il y a deux éléments qui ont poussé vers cette alliance. C’était plus facile de s’unir pour faire partir l’ancien gouvernement, mais c’est un peu plus difficile de parvenir à une compréhension commune sur les visions et leur application, telles que figurant dans l’accord électoral et le manifeste électoral.

Quelle est la position de votre parti sur la réforme électorale ? ReA a fait de la question un des principaux points d’adhésion à cette alliance. Est-ce qu’il y a une garantie que vos points seront retenus ? Et si ce n’est pas le cas ?
La réforme électorale a été centrale dans le combat de ReA, tant sur le plan politique que juridique. Dans le fond, il y a un accord sur la nécessité d’une réforme électorale pour introduire une dose de proportionnel, pour réaliser un bond majeur dans la représentativité des femmes à l’Assemblée nationale et pour mauricianiser le système électoral, qui consacre la division communale de la société mauricienne. Il y a des nuances sur cette dernière question entre les partenaires de l’Alliance, mais nous regardons tous dans la même direction. Nous avons toutes les raisons de croire que cette réforme se concrétisera. En tout cas, le peuple et les démocrates l’attendent avec impatience.

La Constitutional Review Commission semble finalement aussi en voie de création. Quels sont les aspects de modernisation de la Constitution sur lesquels ReA tiendra ferme ?
Sur tout ! Ils sont nécessaires en ce moment historique postindépendance, en ce moment de crise écologique, et en ce moment de nécessité de protection tant des droits sociaux et économiques que des droits numériques des citoyens. On défendra le « right to recall » pour aller davantage vers une démocratie participative, avec rigueur. Toutes les valeurs que ReA incarne et qui font partie de l’accord électoral seront défendues. Mais il ne faut jamais oublier que c’est un gouvernement d’alliance avec quatre politiques et pas uniquement un gouvernement de Rezistans ek Alternativ.

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