Chaque matin d’été, Surya Narayan Das installe trois veaux sur la banquette arrière de sa Nissan. Un rituel singulier, loin du folklore, qui révèle une relation quotidienne, exigeante et inattendue.
La photo a récemment circulé sur Facebook. À l’arrière d’une Nissan Santa 2016, un petit veau, assis sur la banquette, regarde la route. Pas attaché, pas effrayé. Juste là, comme un enfant qui part en balade. En quelques heures, des milliers de partages. Les Mauriciens s’amusent, s’interrogent, commentent. Qui fait ça ? Et surtout, pourquoi ?
L’homme s’appelle Surya Narayan Das. Il a 66 ans, vit à L’Espérance Trébuchet, et cette photo qui a fait le tour de l’île ne montre qu’une infime partie de ce qu’il fait chaque jour. Parce que cette promenade en voiture, ce n’était pas un coup de pub ni une fantaisie d’un jour. C’est un rituel qui dure depuis des années.
En période d’été, quand la chaleur pèse sur les champs, Surya choisit chaque matin trois veaux parmi les 15 qu’il élève. Ils montent dans la voiture, s’installent sur la banquette arrière – « sur le sofa », corrige-t-il toujours – et partent pour une tournée qui peut durer des heures. Parfois vers une plage déserte. D’autres fois vers un jardin fleuri, un coin de nature calme. « Les petits doivent être à l’aise. Ils sont comme des enfants. Je veux qu’ils se relaxent, qu’ils voient autre chose que l’enclos. »
Quand on lui demande si c’est dangereux, il répond calmement : « Non, pas du tout. Ils s’assoient comme des enfants. Ils sont habitués. Je fais attention, je roule doucement. » Un veau stressé bouge. Chez lui, aucun ne panique. Tous attendent leur tour.
Ces veaux vivent sur un terrain de 9 arpents à Dubreuil que Surya a baptisé Vrindavan, du nom du lieu sacré de Krishna. Là-bas, 108 vaches adultes et 15 veaux. Un nombre symbolique. « Les grandes partent au pâturage. Mais les petits, momem mo bizin proteze. »
Il s’est construit une petite maison juste à côté de l’enclos. Il vit là, simplement, près d’eux. Il investit toute sa pension dans l’entretien, le foin, les médicaments, la nourriture, le transport. Il reçoit des dons de Mauriciens touchés par son engagement. « Mo lavi se pou zot. »
Cette vie-là, Surya la connaît depuis l’enfance. Il a grandi entouré des quelques vaches que possédaient ses parents. Il leur parlait, les caressait, les nourrissait. La connexion a été immédiate.
« Sa bann zanimo-la, mo finn grandi parmi zot. Ena dimounn zot gagn zanfan, mwa mo gagn vo. » Pour lui, la vache n’est pas un animal comme les autres, mais une mère symbolique – « C’est comme une seconde mère », dit-il –, une source de nourriture, de douceur.
Pourtant, Surya n’a pas toujours été éleveur. Il a été enseignant de mathématiques. Un homme sérieux, méthodique, calme. Il a étudié en Inde, à la Delhi University, en 1978, après un parcours secondaire au Bhujoharry College. Sa vie semblait se dessiner dans une autre direction. Jusqu’en 1999.
Son voisin vend deux vaches. Surya hésite, puis achète. « C’est là que tout a recommencé. » Ensuite, chaque fois qu’une vache était vendue dans le voisinage, il l’achetait. Petit à petit, son troupeau devient une mission, puis une vocation.
Aujourd’hui, il se lève avant l’aube. S’occupe des veaux, vérifie la santé de chacun, nettoie les enclos, prépare les promenades. Mais il fait plus encore : il emmène ses veaux aux prières à travers l’île. Dès qu’on lui demande la présence d’une vache ou d’un veau pour une cérémonie, il répond présent. « C’est un service spirituel. Je le fais avec plaisir. » Sa Nissan Santa devient alors un véhicule de bénédiction.
S’occuper de 108 vaches demande une énergie considérable. La chaleur, la pluie, les blessures éventuelles, la logistique, les dépenses, la fatigue. Certains jours, il dort à peine quelques heures. Ses voisins le voient toujours en mouvement. Il pourrait vivre une retraite paisible. Il ne veut pas. « Mon bien-être réside dans leur bien-être. »
Depuis que la photo a circulé, son téléphone ne cesse de sonner. Des journalistes, des proches, des enfants, des touristes. Tous veulent voir l’homme aux veaux voyageurs. Il reste humble. « Mo pa enn vedet. Vedet se bann zanimo-la. » Il n’aime pas être au centre de l’attention. Mais il aime partager l’histoire de ceux qu’il appelle « mes petits ».
À 66 ans, il continue avec la même énergie. « Tan ki mo lafors la, mo pou okip zot. » Il rêve de développer Vrindavan, d’améliorer les espaces, d’agrandir les zones d’ombre, d’offrir plus de confort.
À Vrindavan, la lumière baisse doucement. Les veaux se regroupent près de la clôture, les vaches avancent lentement vers l’ombre. Surya termine de ranger les seaux, essuie ses mains sur son pantalon. Rien d’héroïque, rien d’extraordinaire : seulement un homme de 66 ans qui recommencera demain. Il sait que la photo finira par être oubliée. Pas son geste quotidien. « Zot bizin mwa », dit-il simplement.
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