• L’enfant fiché à la Brigade des mineurs depuis l’âge de 7 ans
• Il a été renvoyé de cinq écoles en raison de son comportement
À 12 ans, il vole des voitures et sème la terreur sur les routes. Portrait d’un adolescent en rupture et d’une mère au bord du gouffre.
« Dan sa lane-la, fini fer sink fwa li sove depi lakaz »
Dimanche 30 novembre, dans les rues de Rose-Hill. Une voiture file à toute vitesse. Au volant : un gamin de 12 ans. Jérémie (prénom d’emprunt) vient de voler ce véhicule à Quatre-Bornes. C’est sa cinquième fugue en quelques mois.
Après une virée effrénée, il termine sa course contre une autre voiture dans la rue Gladstone, heurtant le flanc gauche et faisant deux blessés. Malgré le choc, l’adolescent ne s’arrête pas. Il reprend la route comme si de rien n’était. Il faudra l’intervention de la police pour mettre fin à cette virée folle et récupérer la voiture volée.
Pour Lizbeth (prénom d’emprunt), c’est une nuit de plus sans sommeil. Une angoisse de plus à ajouter à la liste. « Je ne ferme plus l’œil de la nuit », confie-t-elle, la voix brisée par l’épuisement. Comment en est-on arrivé là ?
Du haut de ses 12 ans, Jérémie en paraît bien plus. Il a été adopté à l’âge de 10 mois par ce couple des basses Plaines-Wilhems. Pendant des années, il a été leur bonheur, un enfant qui comblait ses parents adoptifs. Mais tout a basculé. « Depi inpe letan li’nn vinn tirbilan, li pa konport li bien », explique Lizbeth, qui ne comprend toujours pas ce changement. Pourtant, dit-elle, elle fait tout pour qu’il ne manque de rien.
Les premiers signes apparaissent à l’école. Jérémie, pourtant « très intelligent et observateur » selon sa mère, n’a pas la tête aux études. Il passe deux ans dans une école spécialisée à Stanley, mais son comportement est violent. Les remarques se multiplient, les enseignants se plaignent de son attitude. Lizbeth est appelée maintes fois pour lui faire part du problème. L’enfant finit par être renvoyé.
Elle trouve une deuxième école. Puis une troisième. À chaque fois, le même scénario se répète. « Mo’nn gagn enn deziem lekol pou li, me li lager ek bann zanfan ek Miss tou... mo’nn bizin rod enn trwaziem lekol », raconte cette mère de famille épuisée. Elle tente même une école payante, espérant que la discipline y sera plus stricte. « Mo’nn met li dan enn lekol paye. Li regagn problem, kan mo demann mo garson, li dir mwa Miss dir li al tir lager… » explique-t-elle, déçue de constater que rien n’y fait.
En tout, il sera renvoyé de cinq écoles. Jérémie finit par décrocher complètement. Il ne montre plus aucun intérêt pour les études. Lizbeth et son époux sont aux abois, ne sachant plus comment agir avec lui. Et puis vient le pire : le jeune garçon commence à fuguer.
Sa première fugue a lieu au cours de cette année. « Il avait dit qu’il allait sortir et il n’est pas rentré », relate la maman, bouleversée. Ce n’est qu’au bout de deux à trois jours qu’il regagnera le toit familial. « Mo’nn demann li kot li sorti, li dir mwa li’nn al kot bann kamarad », poursuit-elle.
Mais ce ne sera pas la dernière fois. L’adolescent va récidiver, encore et encore. « Dan sa lane-la, fini fer sink fwa li sove depi lakaz », confie-t-elle. Cinq fugues en quelques mois, cinq fois où le couple a vécu l’enfer.
Ce qui inquiète surtout les parents, c’est que maintenant, Jérémie semble avoir franchi une autre étape : il s’est mis à voler des voitures. Comment un enfant de 12 ans peut-il savoir conduire ? « Lors de sa quatrième fugue, il avait volé une voiture à Coromandel. Je ne sais pas comment il a pu apprendre à conduire. Il est très intelligent et a beaucoup observé son père qui conduit. Je pense que c’est ainsi qu’il a appris. Son père exerce comme tôlier », indique Lizbeth.
Ce jour-là, raconte-t-elle, son fils a fait un tour fou. « Li ti al fer enn lakot sa zour-la. Li’nn al Bagatelle, Tribeca, Katborn, Site Bosezour, apre li’nn al fer aksidan. Li’nn tap ek enn loto arete. Li ti sove, kit loto ek rant dan enn kamion. »
À ce moment-là, le conducteur du camion ne se rend compte de rien. « Sofer-la pa kone si li’nn rant dan kamion-la. Li’nn al ziska St-Pierre, Petit-Verger. Lerla sofer-la inn trouv enn latet dan keson. » Interloqué, le chauffeur s’arrête et demande à l’enfant ce qu’il fait là. « Li dir li pe al get fami. Sofer-la dir li res lamem, li’nn telefonn lapolis. Lerla mo gagn enn call telefonn mo’nn bizin ale », raconte la maman désabusée.
De retour à la maison, le répit est de courte durée. Le vendredi 28 novembre, Jérémie prend à nouveau la poudre d’escampette. « Li dir li pe al donn lisien manze, apre li pa retourne », soupire Liseby. Le couple replonge dans l’angoisse, connaissant désormais son mode opératoire. Effectivement, leur fils vole à nouveau une voiture. « J’ai appris qu’il avait heurté deux personnes mais heureusement sans grande gravité », dit-elle, soulagée malgré tout.
Au fil des retours, Lizbeth remarque quelque chose d’étrange. Son fils fait des révélations inattendues. « A sak fwa li revini, li ena linz nef, soulie nef lor li. Kan mo demann li ki li fer, li dir mwa li fer kours aswar. Li’nn al kit bann madam ki trase. Kan li fer kours li dir mwa li gagn Rs 200 - Rs 300 », révèle-t-elle, surprise d’apprendre que son fils de 12 ans fait le transporteur la nuit. « Je sais qu’il ne se drogue
pas », tient-elle à préciser, comme pour se rassurer sur ce qui reste de l’innocence de son enfant.
Malgré tout ce chaos, Lizbeth refuse d’abandonner. Son amour de mère est intact. « Mo kontan li. Mo pe ranz enn lakaz pou li dan Bobasin. Pa akoz ariv sa mo pou lav lame ar li. Li res mo zanfan », affirme-t-elle. Son vœu le plus cher ? « Mo ti kontan li sanze, li vinn enn bon garson kouma li ti ete avan. Li ti ok. Mo sagrin mem, ki mo
pou fer », lâche-t-elle, la voix chargée d’émotion.
Après une semaine à l’hôpital à la suite de l’accident du 30 novembre, Jérémie a été pris en charge par la Child Development Unit. « Mo pa kone kan li pou sorti », dit Lizbeth. En attendant, elle continue d’espérer que son fils retrouve le chemin qu’il a quitté, que le petit garçon qu’elle a adopté à 10 mois revienne vers elle.
Au volant d’une voiture volée, il provoque un accident
Jérémie a vécu un dimanche 30 novembre particulièrement mouvementé, laissant ses parents – et ses victimes – sous le choc. Tout commence dans la matinée, lorsqu’il se présente dans un magasin à La Louise, Quatre-Bornes, se faisant passer pour un adolescent de 17 ans à la recherche d’un emploi. Un prétexte qui lui sert en réalité à préparer son passage à l’acte.
Profitant d’un moment d’inattention, il subtilise les clés d’une Toyota dans le sac d’une employée, avant de prendre la fuite au volant du véhicule. L’enfant se lance alors dans une conduite dangereuse dans les rues de Rose-Hill : non-respect du code de la route, ligne blanche franchie… jusqu’à une violente collision avec une voiture circulant sur une voie prioritaire.
À bord de ce véhicule se trouvaient trois membres d’une même famille ; le conducteur et sa mère, assise à l’avant, ont été blessés.
Après l’impact, Jérémie effectue une marche arrière et tente de prendre la fuite. Il sera finalement intercepté par une patrouille policière à Beau-Bassin.
La police de Rose-Hill et de Quatre-Bornes a ouvert une enquête sur ce vol de véhicule et les circonstances de l’accident.
Placé dans un abri pour enfants depuis ce vendredi
• Jérémie à sa mère « Mo laniverser le 2 Zanvie, vinn sers mwa… »
Après cinq jours à l’hôpital, le garçon de 12 ans a été transféré, ce vendredi 5 décembre, dans un abri pour enfants géré par la Child Development Unit (CDU) à Curepipe. Lors de la première visite de ses parents adoptifs, les larmes et les supplications n’ont pas manqué.
Lorsque Lizbeth pousse la porte de l’abri, cela fait cinq jours qu’elle n’a pas vu son fils. Cinq jours depuis l’accident. Cinq jours depuis qu’elle a demandé qu’il soit placé. Ce n’est que ce vendredi qu’elle a trouvé la force de lui rendre visite.
Quand il aperçoit ses parents adoptifs, Jérémie s’effondre. « Li koumans plore, li dir ‘les mwa ale, si zot pa les mwa ale mo pou swisid mwa », raconte Lizbeth, bouleversée par la détresse de son enfant. Mais pour sa mère adoptive, il est hors de question de céder. Cette fois, elle veut qu’il soit recadré par les autorités, qu’il puisse démontrer un comportement exemplaire une fois sorti de cet abri. Elle essaie de le réconforter à sa manière. « Nou’nn donn li enn ti gato avek enn Orangina, li’nn kontan », raconte-t-elle. Elle lui parle doucement, essaie de lui faire comprendre. « Nou’nn dir li ‘fer bon garson, nou’nn met twa la pou to sekirite. Nou’nn dir li apre to pou sorti.’ »
Jérémie se calme un peu, mais il a une demande. Son anniversaire approche, il ne veut pas le passer seul, enfermé dans cet abri. « Li dir so laniverser le 2 Zanvie, ‘vinn sers mwa, mo pou fer laniverser lakaz, apre mo pou retourne », rapporte Lizbeth. Une promesse d’enfant sage. Mais sa mère sait qu’elle ne peut pas lui garantir cela, pas encore.
Dans cet abri, Jérémie disposera d’une petite pièce, un espace à lui.
« Sak zanfan ena so lasam », explique Lizbeth. Elle veut qu’il comprenne la gravité de la situation, les conséquences de ses actes : « Mo’nn dir li ‘si to fer move bann-la pou re-amenn twa lopital oubien RYC. »
Avant de partir, elle le prend dans ses bras. « Mo’nn fer enn kalin ar li, lerla li’nn kontan. » Un instant de tendresse, de connexion entre une mère et son fils, malgré la distance qui s’est creusée entre eux. Un câlin qui dit à la fois l’amour et les limites, la fermeté et l’espoir.
Un parcours scolaire chaotique
Renvoyé de cinq établissements successifs, Jérémie accumule les rapports défavorables depuis la maternelle. Un parcours qui illustre les limites du système éducatif face aux enfants en grande difficulté.
Depuis tout petit, l’enfant ne montre aucun intérêt pour les études. Mais au-delà du désintérêt, c’est surtout son comportement violent et perturbateur qui alarme. Le ton est donné dès la maternelle.
« Depi maternel li koumans vinn tirbilan. Li rant primer, bann-la met li deor premie zour, li ti mord profeser, ti gagn diskision dan klas kan profeser inn koz ar li. Lerla ti pas lor enn board », raconte sa mère adoptive, Lizbeth.
Les années passent et la situation ne s’améliore pas, bien au contraire. Jérémie est renvoyé successivement d’un établissement à l’autre.
« Sink lekol li’nn sanze », résume Lizbeth, épuisée par ces années de batailles avec le système scolaire.
Pour l’année 2025, Jérémie avait été inscrit dans une école spécialisée de Stanley, censée mieux accompagner les enfants en difficulté. L’espoir était là, encore une fois. Mais dès le mois de juin, l’établissement jette l’éponge. « Depi le 7 Zwin, lekol inn met li deor », confie sa mère.
Dans cet établissement, l’adolescent a collectionné les remarques défavorables du corps enseignant. « Li’nn kit klas a tou ler, li’nn al dormi dan enn lot klas », relate Lizbeth. Jérémie fait ce qu’il veut, quand il veut, sans se soucier des règles ni de l’autorité des enseignants. Mais son comportement ne se limite pas à l’indiscipline ou à la désertion de classe.
« Li koz for avek bann prof, li bat so bann kamarad, li zoure, li deranz zot tou. »
Les provocations atteignent parfois des sommets. « Li finn zour Miss, li dir ki li enn p… » rapporte Liseby, désabusée.
Que devient un enfant de 12 ans après un délit grave ?
Jérémie, à sa sortie de l’hôpital, a été pris en charge par la CDU et placé dans un centre pour enfants. Une issue qui ne surprend guère les autorités : fiché auprès de la Brigade des mineurs depuis l’âge de 7 ans, lorsqu’il avait agressé sa mère à coups de savates, il était toujours suivi par les services spécialisés.
Pourtant, cela n’a pas empêché ses fugues à répétition ni ses vols de voitures. Lors de sa dernière équipée, Jérémie n’a pas hésité à prendre le volant après avoir volé les clés dans un magasin. Selon nos sources, à de multiples reprises, ses parents ont pris la responsabilité de ses frasques et sont venus le récupérer auprès des autorités. Mais cette fois, la situation semble avoir franchi un seuil qui ne permet plus un simple retour à la maison.
Le cas de Jérémie soulève une question centrale : que se passe-t-il lorsqu’un enfant de 12 ans commet des délits graves ? Comment les autorités décident-elles de son placement ? Et quel accompagnement lui sera offert ?
Une enquête adaptée mais rigoureuse
« Même s’il s’agit d’un enfant de 12 ans, la police enclenche une enquête du moment qu’il y a un délit criminel », explique un sergent de la Brigade pour la protection de la famille. Les procédures d’enquête se déroulent de manière similaire à tout autre cas, mais avec des garanties spécifiques : présence obligatoire des parents ou d’un adulte responsable, intervention systématique de la Brigade pour la protection de la famille et de la Brigade des mineurs.
La police adapte toutefois son approche à la vulnérabilité du mineur. « Si enn dimounn sous le choc, li demann pou donn lanket ultérieurement nou pa bouskiler », précise-t-on. Si les parents réclament l’intervention d’un psychologue, le ministère est immédiatement sollicité.
Parallèlement, des enquêtes sociales sont menées pour comprendre l’environnement de l’enfant. Le Probation Office étudie les conditions de vie, l’entourage, tous les éléments susceptibles d’avoir influencé son comportement. Ces rapports, transmis à la police, visent à établir les facteurs ayant poussé l’enfant à agir de la sorte.
Le DPP, arbitre final du placement
Après les enquêtes, si la police trouve des éléments justifiant une détention, c’est le bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP) qui tranche. C’est lui qui donne l’aval sur la marche à suivre, notamment s’il y aura placement en centre de détention pour mineur. Les enfants sont alors souvent référés aux centres dédiés tels que le Rehabilitation Youth Centre ou le Correctional Youth Centre (CYC). Le lieu de détention est décidé par la CDU, qui gère également d’autres centres à travers l’île.
Lorsqu’il y a des cas de « Child Beyond Control » - désormais appelés « Child with Serious Behavioural Concern » selon le nouveau Children’s Act – les parents se rendent à la police pour faire une déposition en bonne et due forme, mentionnant en détail la nature du problème. La police sollicite l’avis légal et des autorités compétentes. « Tout est référé au bureau du DPP », précise-t-on.
Le nouveau Children’s Act a introduit un changement notable : la police ou les parents peuvent désormais faire des demandes auprès du Probation Office directement, contrairement à la formule précédente qui réclamait une demande devant la cour. Le Probation Office dispose d’un délai de 21 jours pour soumettre son rapport. En cas de nécessité, une demande est enregistrée devant la Children’s Court, qui recommande le placement des enfants concernés au sein des Probation Hostels.
Un suivi psychologique sur la durée
Pour Jérémie, comme pour tout enfant placé, un accompagnement psychologique sera mis en place par le ministère. Cet accompagnement durera le temps que le patient en aura besoin. Le psychologue émet des rapports de manière régulière et recommande lui-même s’il y a nécessité de prolonger le suivi. Un dispositif censé offrir à ces enfants « hors de contrôle » une chance de retrouver un équilibre, là où la cellule familiale n’a pas suffi.
2025 : 344 mineurs placés en foyers
Depuis le début de l’année 2025, 344 adolescents ont été placés dans des « shelters » à Maurice. Ces structures d’accueil réparties à travers l’île offrent un cadre sécurisé aux mineurs considérés comme « beyond control », victimes de maltraitance, de négligence, abandonnés, démunis, ou encore exposés à des situations de danger.
Pour les autorités, ce placement représente une étape essentielle pour garantir la protection immédiate de ces enfants et leur offrir un environnement plus sûr, en attendant une prise en charge durable et adaptée à leur situation.
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